MARIE
AU PAYS DES INCAS |
Marie
a deux passions : le Pérou et Indochine. Elle est donc partie dans
le pays à la rencontre des fans et des médias péruviens, pour qui
le groupe a laissé des traces indélébiles, en dépit d’une situation
sociale difficile.
Voyage passionnant sur les pas d’une inconditionnelle… |
Je suis française et j’ai découvert Indochine
en 1990-91 lors de la sortie de l’album Le Baiser. Lorsque j’ai
appris leur succès au Pérou, ça m’a intriguée et puis je voulais
améliorer mon niveau en espagnol qui était déplorable. Je me suis
inscrite au fan-club péruvien de l’époque qui était géré par Lourdes
et Anabell. Je recevais donc les nouvelles d’Indochine en espagnol
par le biais d’un fanzine. Puis le fan-club officiel péruvien s’est
dissous, d’autres fans péruviens ont pris le relais avec un autre
mode de fonctionnement et je n’ai plus eu de nouvelles. Plusieurs
années plus tard, j’ai créé mon site en français. À l’époque, le
seul site parlant du succès d’Indochine au Pérou était inactif depuis
plusieurs années et je pensais que le Pérou avait oublié Indochine,
mais je trouvais que c’était une façon originale de découvrir la
société péruvienne. Suite à ça, les fans et les médias péruviens
m’ont contactée, j’ai eu des contacts avec le marketing international
de Sony France, et je suis allée au Pérou l’été dernier. Là-bas,
j’ai rencontré les fans, j’ai été interviewée à la radio péruvienne
pour parler d’Indochine, j’ai rédigé quelques articles pour la presse
nationale, aidé et assisté à des soirées Indochine à Lima, etc.
«
Au Pérou, l’État est faible. Les États-Unis ou les organismes mondiaux
lui lient souvent les mains »
Comme
beaucoup de pays d’Amérique latine, le Pérou est un pays riche si
l’on considère ses ressources naturelles : pétrole, guano, or, cuivre,
argent, zinc, platine. Mais ces ressources sont exploitées par des
capitaux étrangers… Le Pérou est le pays des Incas, il regorge de
vestiges précolombiens, de Cités comme le Machu Picchu, il offre
une diversité de paysages (Amazonie, Océan Pacifique, montagnes
andines), et offre donc des ressources touristiques et écologiques
extraordinaires.
Au niveau politique, c’est une république démocratique, dont le
président est le très impopulaire Toledo (si l’on en croit les chiffres
récents, seuls 4% des péruviens croient encore en lui). L’année
dernière, des grèves et des manifestations ont secoué le pays, et
Toledo a déclaré l’ « état d’urgence » pour quelques mois. C’est
une mesure conforme à la Constitution, qui interdit les manifestations
et les grèves. Il y a eu des affrontements en province, plusieurs
blessés et un mort. Mais honnêtement, cette mesure m’a semblé plus
impressionnante sur le papier qu’en réalité. Je suis partie au Pérou
pendant l’état d’urgence, je ne suis pas allée dans les zones à
risques, mais je n’ai rien vu de particulier. Une seule fois, sur
la Plaza San Martin de Lima, il y avait une manifestation et un
tank a fait le tour de la place, les manifestants ont hué, le tank
a lancé quelques gouttes d’eau et est reparti.
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Au niveau social, 60% de la population du Pérou
vit en état de pauvreté, et 20% dans la pauvreté extrême : 36% des
Péruviens n’ont pas accès à l’eau courante et à l’électricité, et
40% d’entre eux n’ont pas accès aux soins médicaux. Un des problèmes
du Pérou, comme de la plupart des pays d’Amérique Latine, c’est
que l’État est faible, et que les États-Unis ou les organismes mondiaux
lui lient souvent les mains.
«
Les maisons de disques ferment les unes après les autres et le marché
pirate représente 98% des disques vendus au Pérou »
Indochine
a surtout eu un pic de succès au Pérou en 1988, et celui-ci a laissé
des traces considérables. Mais la popularité du groupe n’a jamais
été vraiment exploitée depuis lors. Quand on gagne 200 à 400 euros
par mois, c’est difficile d’acheter un CD à 20 euros… Les maisons
de disques péruviennes ferment les unes après les autres. À ma connaissance,
il n’y a plus qu’un seul magasin de disque à Lima, il fait à peu
près 10m2… En conséquence, les Péruviens développent le secteur
informel : le marché pirate représente 98% des disques vendus au
Pérou.
On a toujours trouvé les disques d’Indochine à Lima, on entend toujours
les chansons en soirées, en discothèques, les fan-clubs ont toujours
été actifs, les générations de fans se renouvellent, les médias
sont disposés à donner des nouvelles du groupe. Mais il n’y a pas
de vente, pas de chiffre, pas de donnée fiable, et pas de promotion.
Indochine n’est pas distribué officiellement au Pérou.
Il faut aussi préciser qu’Indochine est perçu tout à fait différemment
au Pérou qu’en France. Le groupe « existe » là-bas depuis 1987.
Les chansons populaires ne sont pas toujours les mêmes non plus,
les Péruviens ne comprennent pas les paroles, alors il faut que
les chansons aient du rythme. Beaucoup de Péruviens ne connaissent
pas Tes yeux noirs. Par contre, À l’Assaut et Bienvenue chez les
nus sont très populaires. En dehors de ça là où la France a beaucoup
décrié Indochine, le Pérou le voit comme un des plus grands groupes
de rock, une légende, et un phénomène social qui a marqué le pays
dans les années 80. À l’époque, les concerts internationaux étaient
encore plus rares à cause d’une vague de terrorisme très fort qui
secouait le pays. Annoncer la venue d’Indochine c’était déjà un
événement, ça sortait de l’ordinaire. |
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|
«
Le Pérou voit Indochine comme un des plus grands groupes de rock,
une légende qui a marqué le pays dans les années 80 »
Le
gouvernement péruvien ne s’est jamais vraiment prononcé « contre
» Indochine. Celui qui a pris position quand le groupe est venu
en 1988 était un député qui faisait partie de la formation politique
au pouvoir. Je pense qu’il a voulu se servir d’Indochine pour se
faire connaître. Actuellement, Indochine n’est pas un groupe subversif
pour les Péruviens. La société a évolué et ils sont plus ouverts,
la situation économique est plus stable, les artistes internationaux
y viennent plus souvent (Alanis Morissette récemment, même s’ils
sont quand même rares, car se produire au Pérou ne leur amène pas
de bénéfice économique. Dans le paysage musical péruvien, Indochine
pratique un son dur, très rock. Les Péruviens sont habitués à la
salsa et même le rock latino est très doux. Il est certain que des
thèmes liés à l’homosexualité, la liberté sexuelle ou même certains
thèmes politiques sont plus « choquants » pour eux, car ils sont
plus rarement abordés. L’attitude d’Indochine leur semble encore
plus rock, encore plus rebelle ou atypique. Mais l’effet de surprise
est passé, la société a évolué et Indochine n’a plus rien de subversif.
Pourquoi un tel succès au Pérou ? Je crois que personne n’a la réponse
à cette question ! Hasard ? Coup de chance ? Je ne sais pas pourquoi
le groupe a eu du succès mais j’ai quelques idées qui expliqueraient
pourquoi le succès a été si fort. Déjà un choc de culture entre
la France et le Pérou a généré un débat politique, Indochine a donc
dépassé le cadre du succès musical auprès des jeunes pour entrer
dans les colonnes de journaux politiques et toucher un public adulte.
Les Péruviens sont en général très émotifs, vivants, enthousiastes,
démonstratifs, extravertis. Quand ils aiment quelque chose ou quelqu’un,
ils le montrent beaucoup plus que nous. Ensuite, l’originalité d’Indochine,
en tant que groupe francophone. Ils n’ont jamais chanté en espagnol
ni en anglais… Le look d’Indochine a séduit les Péruviens, ils sont
sensibles aux images et Indochine a toujours soigné cette partie-là.
«
C’est en quelque sorte un parcours du combattant d’être fan au Pérou,
mais peut-être est-ce là une partie de son charme… »
Souvent
les fans péruviens essaient d’avoir les disques originaux, leur
achat représente un investissement.
C’est en quelque sorte un parcours du combattant mais peut-être
est-ce là une partie de son charme…
Au prix du disque s’ajoutent les frais d’envoi. Alors, ils fonctionnent
parfois au système D. Ils trouvent par exemple une compilation péruvienne,
ou une édition latine d’un disque, des photos d’Indochine ou quelque
chose qui puisse intéresser les fans français et font des échanges.
Il est de plus en plus difficile de trouver la compilation péruvienne
au Pérou mais cela revient quand même moins cher qu’un disque original
chez nous. |
Les vidéos et DVD posent plus de difficultés.
Le Pérou est au système NTSC pour les vidéos et en zone 1 pour les
DVD. Il existe des magnétoscopes ou des lecteurs de DVD toutes zones
(au Québec par exemple) mais ils sont plus chers à l’achat. Les
fans vont donc souvent les faire transformer dans des centres spécialisés,
ça prend du temps (les Péruviens travaillent en moyenne 48h par
semaine) et la transformation se paye à l’heure… Une vidéo d’une
heure et demie coûte donc 2h. Si on ajoute à ça le prix du DVD original
et les frais de port, on comprend qu’ils aillent parfois se fournir
auprès des pirates où ils trouvent un dvd transformé zone 1, d’une
qualité correcte et à prix abordable.
«
Si vous prenez un taxi et dites que vous êtes française, on vous
répond : ah oui, le pays d’Indochine ! »
Beaucoup
de gens se mobilisent pour Indochine au Pérou : des français, mais
aussi les Péruviens vivant en Europe, et le club « Amis d’Indochine
» à Lima. Les fans se réunissent les uns chez les autres pour voir
les dernières vidéos d’Indo, ils font des fêtes ensemble. Souvent,
les fans péruviens d’Indo aiment bien Cure, en revanche, Placebo
n’est pas très connu au Pérou. Ils aiment la musique gothique, la
pop, la new wave, et la musique latino, bien sûr. Indochine et Manu
Chao sont les seuls artistes français vraiment connus là-bas. D’après
un journaliste péruvien, le dernier concert de Manu Chao était gratuit,
il a attiré environ 5 000 personnes. À titre de comparaison, Indochine
à attiré 45 000 personnes pour des concerts payants. En tout cas,
il y a quelque chose de très fréquent, c’est l’association France
= Indochine. Les Français de Lima avec lesquels j’ai discuté m’ont
tous dit ça, et j’en ai moi même fait l’expérience. Exemple dans
un taxi : « Et d’où venez-vous ? – Je suis française. – Ah oui,
c’est le pays d’Indochine ! »
Une autre fois, j’étais invitée chez un ami péruvien pour dîner.
Dans la cuisine, le réfrigérateur retient mon attention car il y
a un autocollant « Indochine » et l’ami en question n’est pas du
tout fan. Je m’étonne donc et mon ami ne comprend pas mon étonnement
: « Mais enfin Marie, c’est tout à fait courant, tu retrouveras
des autocollants ou des posters d’Indochine chez beaucoup de Péruviens.
C’est juste parce que ça a beaucoup marqué, ça n’a rien d’anormal.
»
Mais l’une des anecdotes les plus amusantes est arrivée à un Français
en 2001. Il était dans un petit village perché au milieu des Andes,
il attendait un bus et Juan, un paysan péruvien de 54 ans est venu
lui tenir compagnie en lui chantant « C’est à Canary Bay ! Ouh !
Ouh ! ». Ce village est composé d’une vingtaine d’habitations et
n’a pas d’électricité. Pas besoin de préciser que le paysan en question
ne connaissait pas un mot de français !
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